Régulièrement j'ai ce rendez-vous. Au début c'était tous les trois mois,
puis ce furent deux fois par an.
Depuis trois ans c'est chaque année que je dois renouveler mon visa.
Comme pour tous les immigrés, une forme d'inquiétude - pas tout-à-fait de
l'angoisse- monte à mesure qu'approche l'échéance. C'est qu'il me faut à la
fois préparer mon dossier, ruminer le baratin que j'aurais à débiter au
fonctionnaire qui filtre et aussi-surtout- parce que je ne puis
m'empêcher d'envisager les perspectives que causerait un refus
d'obtention.
Je ne pourrais sans doute pas y survivre. Je sais que c'est un peu
mélodramatique, mais c'est pourtant ainsi que je le ressens.
Mais aussi, quelle échappatoire se présenterait? Quelle terre d'asile vers
laquelle prolonger mon séjour?
Un visa
refusé me condamnerait à errer dans les eaux du Styge, incapable d'empoigner la
jetée pour reprendre Terre.
C'est pourquoi les jours qui précèdent cette échéance sont difficiles à
vivre: l'ennemi -le danger- est intérieur et plus redoutable, à la fois
impalpable et présent en toutes choses. Ma relation avec le monde en est
perturbée, que soit avec celle que j'aime, ceux que j'aime, ce que je veux
faire et, surtout, avec moi-même: qu'ai-je fait depuis mon dernier visa qui
justifie qu'à la différence d'autres dans mon cas, je sois tamponné et gratifié
d'une prolongation?
C'est pourquoi le monde me paraît si vaste, les possibles si innombrables, les
gens si riches de possible lorsque le visa m'est accordé.
Et hier, ben je l'ai eu: encore un an au moins.